Taftan et Quetta
Jour 1 / Taftan-Yakmach – 07.10.2018
Première nuit paisible au Pakistan si ce n’est en soirée pour les allers-et-venus incessants des soldats qui entrent dans le camion comme dans un moulin, sans frapper, pour vérifier nos papiers. Nous n’avons droit à aucune explication. Nous ne savons pas qui ils sont et pourquoi il faut autant de contrôle. Zéro information... C’est le brouillard total concernant les jours à venir.
A 8h, on nous fait signe. La première escorte est là : il s’agit d’un unique soldat armé, appartenant aux Balochistan Levies, et qui prendra place à côté de Mike. Je me vois reléguée à l’intérieur de la cellule avec Lahana. Nous partons sans devises locales, sans connexion internet et sans assurance pour notre véhicule, c’est assez déstabilisant.
En ce premier jour d’escorte, nous longeons la frontière afghane et parcourons 240 km avec rien d’autre à perte de vue que le désert. Le temps est venteux et Antares fend les tempêtes et les congères de sable sur son chemin.
Heureusement, les magnifiques et excentriques camions bariolés du truck-art parsèment le paysage de couleurs grâce à leurs peintures et décorations multicolores.
Nous traversons poste de sécurité après poste de sécurité, où on nous demande sans cesse les mêmes informations et où on procède sans exception aux mêmes contrôles d’identité de personnes et de véhicules. Le changement d’escorte intervient fréquemment, environ tous les 40 km.
En milieu de journée nous restons bloqués en plein désert. Il y a apparemment une complication dans le village voisin où des manifestants brûlent des pneus sur la chaussée, empêchant toute circulation et de ce fait, que nous reprenions notre route. Pour la peine, les soldats nous offrent à boire et à manger et nous avons le plaisir de déguster notre premier plat local à base de lentilles, légèrement relevé, que l’on mange avec les doigts directement dans le plat à l’aide du paratha, un pain plat pakistanais qui accompagne la plupart des mets.
La nuit tombée, nous parcourons les derniers kilomètres qui nous séparent du village de Yakmach et nous nous installons pour la nuit dans l’enceinte des Levies Forces.
Mise à part des toilettes turques, il n’y a aucune infrastructure ici. Il n’y a que quelques lampadaires dans la rue qui apportent un minimum d’éclairage. Les installations électriques sont minimes. Antares est une maison de luxe avec un confort que personne ici ne possède.
Jour 2 / Yakmach-Quetta – 08.10.2018
Nous nous réveillons après une deuxième nuit au Pakistan. Dehors, les soldats dorment encore autour du camion. Deux Levies ont veillé sur nous ces dernières heures.
Nous reprenons la route et parcourons les 400 km qui nous séparent encore de Quetta. Le paysage est assez similaire à la journée précédente, peut-être un peu plus montagneux. Les quelques villages traversés sont pauvres et très sales. Les femmes sont quasi inexistantes dans les rues. Quant aux hommes, ils sont unanimement vêtus de l’habit traditionnel du shalwar kameez.
Contrairement à hier, je prends place à côté de Mike alors que l’escorte est devant nous avec deux à quatre soldats circulant dans un pick-up.
Les trucks pakistanais continuent de ravir nos yeux.
Un pakistanais peut investir jusqu’à 5000$ dans la décoration de son véhicule, autrement dit, une véritable fortune pour les petits salaires du pays. Nous aurions souhaité qu’il en soit de même pour la sécurité des bolides. On se demande bien comment ils font avec leurs huitante tonnes, avec leurs stickers et décorations qui encombrent vitres et pare-brise pour ne laisser qu’une visibilité grosse comme une tête d’épingle, leurs rétroviseurs trop petits pour dépasser leur chargement, et que dire de ce dernier qui atteint parfois des proportions inimaginables... de vrais dangers publics !
Le truck-art est devenu un véritable phénomène culturel, si bien qu’aujourd’hui il est décliné sous toutes sortes de forme, de la voiture au tracteur.
On découvre en passant les fabriques de briques dont les fours laissent échapper une épaisse fumée noire ; et quelques scènes de vie locale tels que les bergers et leurs troupeaux, les enfants dans la rue, un pick-up rempli de femmes se rendant à un mariage, ou encore un cimetière reconnaissable à ses seules pierres dressées dans la terre et le sable.
Et puis, à l’entrée de la ville de Quetta, sur l’autoroute, ce truc fou, où un sac est lancé du sommet d’un de ces trucks pakistanais et qui ressemble drôlement à un corps emballé dans du tissu... Est-ce possible ou avons-nous fabulé !?! Nous préférons ne pas savoir, ça fout un frisson dans le dos.
Nous arrivons en fin de journée dans le chaos extraordinaire de Quetta et savons à ce moment-là que nous sommes au cœur de l’Asie telle que nous l’expérimentons normalement dans les films bollywoodiens. Nous sommes pourtant bel et bien les acteurs de notre script et c’est surnaturel : méli-mélo de piétons, charrettes, tracteurs, tuk-tuk, voitures, bus et camions en tout genre, circulant dans une confusion et un désordre indescriptible sans aucun sens des priorités ou même du danger.
Des couleurs aussi, beaucoup de couleurs, entre les étalages de fruits et de légumes, les camions du truck-art et les habits des femmes et des enfants, c’est avec un émerveillement et une frénésie non dissimulée que nous nous frayons un chemin jusqu’à notre point de chute pour la nuit à côté d’un poste de Levies Forces.
Jours 3-4 / Quetta – 09-10.10.2018
Afin de continuer notre voyage, il nous faut obtenir un NOC (non-objection-certificate). Mais ce matin, Mike ne se sent pas bien. On réalise qu’il s’agit probablement du repas ou de l’eau qu’on nous a offert il y a deux jours. L’hygiène ici est déplorable. Les toilettes publiques dans le pays sont d’une saleté déconcertante, sans papiers, sans savon et parfois sans eau. Nous ne vous faisons pas de dessin... Il n’y a pas de service de ramassage des déchets qui sont au mieux réunis au bord de la route ou dans un champ pour être brûlés, au pire laissés à la proie des oiseaux, chiens errants ou troupeaux de chèvres. Les enfants, eux aussi, jouent dedans. Il nous faudra même donner un bain à Lahana tellement le mélange ordures-cendres est nauséabond !
Aucun déplacement n’est autorisé sans Levies ou police locale. Entre les selfies demandés à tour de bras et nos garde-du-corps, nous avons l’impression d’être des stars de cinéma... ou des extraterrestres, c’est selon. Nous obtenons enfin un peu de cash en roupies pakistanaises et une connexion internet. Nous nous frottons aussi aux premières démarches administratives dans le pays avec l’obtention du fameux NOC. L’ancien bâtiment britannique est à peine reconnaissable. Les locaux n’ont depuis longtemps plus fait l’objet d’entretien ou de rénovation. On nous conduit dans un local occupé par plusieurs employés. Un d’entre eux regarde des films sur son téléphone, un autre joue sur son ordinateur, un troisième lit son journal, un quatrième est occupé à la préparation du repas à même le sol dans un angle de la pièce, jetant par la fenêtre les déchets et détritus de son labeur, et un dernier sert apparemment de larbin aux autres et leur amène eau, thé et fait photos et selfies à la demande. La scène est plutôt cocasse.
Il nous faudra 4h pour obtenir le fameux certificat, temps partagé avec deux Allemands voyageant à vélo que nous avions précédemment rencontrés à Yazd, en Iran, et honoré par la présence du chef des Levies Forces.